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Déconfinement : doit-on se résigner à une vie sans câlins ?

Article paru dans psychologies.com

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, la distanciation sociale est devenue un des gestes barrière clé pour lutter contre la propagation du virus. Après deux mois sans relations sociales, pourra-t-on continuer longtemps à interagir avec nos proches et les inconnus sans les toucher ?

 

Chaque jour, on se touche en moyenne 3.000 fois le visage. Ce réflexe pose problème à chaque épidémie et particulièrement depuis l’apparition du Covid-19. Nez, yeux et bouche sont en effet des portes d’entrée dans l’organisme pour les virus et les bactéries. Même en se lavant régulièrement les mains, mieux vaut éviter ce geste. Pas facile ! 

 

Le toucher, un sens essentiel.

Le toucher est l’un de nos cinq sens. Ce n’est pas toujours celui auquel on prête le plus d’attention, alors même qu’il est vital : "Si vous ne touchez pas un bébé, il meurt, rappelle Céline Rivière, psychologue et auteure du livre La câlinothérapie, une prescription pour le bonheur (éditions Michalon). C’est aussi simple que ça. Les expériences dans les années 1970 sur l’attachement ont bien montré que le lien et le toucher étaient premiers par rapport à l’alimentation. On en a davantage besoin dans la construction de soi que de manger".

 

Dès la naissance, on est accueilli par le toucher. C’est le peau à peau, dont les bienfaits sont désormais largement reconnus. Ce sens nous accompagne toute la vie : "lorsqu’on peut accompagner quelqu’un dans ses derniers instants, on lui tient la main", note la psychologue. 

 

Entre la naissance et la mort, le toucher est omniprésent. "Le nourrisson est tout le temps touché, câliné, c’est fondamental. Quelque chose d’aussi important dans l’enfance ne peut pas disparaître avec l’âge. Bien sûr, selon l’expérience personnelle, on en a plus ou moins besoin, on est plus ou moins à l’aise, mais le besoin d’être touché est toujours là." Son empreinte sur notre inconscient est d’ailleurs très forte, puisque son absence déclenche une équation au résultat assez violent : " inconsciemment, on se dit ‘si je ne suis pas touché, c’est que je ne suis pas aimé, que je ne suis pas considéré, que je ne fais plus partie d’un tout’. Quand on n’est plus touché, on n’est plus personne".

 

Une société en manque de contacts.

C’est un stéréotype : les gens du Sud sont plus tactiles et plus chaleureux. Il n’empêche, pour la psychologue, c’est aussi une réalité :

"les gens sont plus froids dans les sociétés où on ne se touche pas. Il manque quelque chose". En France, faire la bise ou se serrer la main sont des gestes évidents pour se saluer. Quant à prendre un ami par l’épaule ou lui donner une tape dans le dos, c’est autant une manière de rassurer que de motiver ou de réconforter.  Un geste vaut parfois mille paroles.

 

Pendant deux mois, le contact avec la famille et les amis s’est maintenu par écrans interposés. "Nous étions coupés de nos relations et plongés dans une ambiance angoissante. Or lorsqu’ils ont peur, les animaux se regroupent. Nous n’avons pas pu le faire et aujourd’hui, malgré le déconfinement, il nous manque un repère primordial : le toucher qui fait lien."

 

Avant le 17 mars dernier, nous étions déjà en manque de contacts physiques. Près d’un mois après la fin du confinement, nous n’avons pas retrouvé la liberté d’entrer physiquement en contact. "Le toucher nous est interdit à un moment où il nous serait très utile, pointe la psychologue. Spontanément, quand quelqu’un a peur ou est angoissé, on le prend dans ses bras. C’est une manière de lui dire que tout va bien, de le rassurer. En ce moment, nous sommes pétris d’angoisses et nous aurions bien besoin d’être cajolés. Or non seulement on ne peut pas, mais le message envoyé est exactement l’inverse de d’habitude : ‘je te touche pour te donner de la sécurité’ devient ‘si je te touche, ça risque de te rendre malade’. Nous sommes donc totalement perdus."

 

Alors que l’on peut de nouveau voir ses proches, les relations sociales sont transformées. Désormais, on pense autant à ce que l’on veut dire qu’à ce que l’on ne doit pas faire. "Ce n’est pas du tout intuitif. Toucher l’autre, c’est instinctif. La pensée vient après. En ce moment, on doit donc se concentrer pour ne pas aller au contact de l’autre. C’est très bloquant et pas du tout naturel dans les conversations." Et que dire de la joie des retrouvailles, stoppées nettes : alors qu’on aimerait se laisser aller à des effusions de tendresse, on doit s’efforcer de rester statique. Une situation par définition contradictoire, selon la psychologue : "les retrouvailles sont forcément tactiles. Regardez les images de soldats qui rentrent du front, on les prend dans les bras. Plus on aime les gens, plus on les touche".  

 

Peut-on imaginer d’autres formes de contact ? Avant le confinement, des vidéos de salut avec le pied ou le coude avaient fleuri. "C’est anecdotique, remarque Céline Rivière, mais c’est une forme de lien et ça faisait rire ceux qui le pratiquaient. Cela créait un contact, ce qui est déjà beaucoup. Au fond, le plus douloureux, c’est de perdre ce contact avec l’autre, car on perd ce qui fait de nous un humain. Une de mes patientes qui n’aime pas du tout qu’on la touche m’a dit que c’était terrible pour elle d’être à un mètre et demi de tout le monde. Elle se sent encore plus seule."

 

Le sans-contact n’est pas l’avenir.

Dans nos interactions sociales, il existe plusieurs cercles de distanciation. Au plus proche de nous, cercle réservé à nos proches (conjoint, enfants, famille, mais aussi animal de compagnie), la distance intime, et directement après, la distance personnelle, cercle dans lequel on laisse rentrer nos connaissances (amis, amis d’amis ou personnes avec qui on partage un moment agréable, en soirée par exemple). Ces deux derniers cercles sont aujourd’hui inaccessibles à tous, et c’est cette distance qui nous pèse. 

 

"Tant qu’on ne pourra pas retourner dans la sphère intime des personnes que l’on aime, il nous manquera quelque chose, prévient Céline Rivière. Ce n’est pas qu’une question de toucher, il s’agit aussi de partager des émotions, du ressenti, de l’énergie. Pensez à un concert, il s’y crée une énergie spéciale, commune, partagée. En réalité, ces échanges ont aussi lieu au quotidien. On dit bien de quelqu’un qu’il nous booste ou qu’il nous pompe toute notre énergie. En ce moment, chacun est seul avec sa propre énergie. Si des choses ne vont pas, on ne peut plus en puiser ailleurs pour aller mieux."

 

La situation est d’autant plus intenable que l’on ne se sent pas capable de priver des êtres fragiles de toucher, de câlins. "On ne va pas repousser un enfant ou s’éloigner d’une personne âgée, pour qui être touché est si important. Même si la contrainte renforce la créativité, on ne pourra pas tenir longtemps dans ces conditions. D’ailleurs les gens outrepassent de plus en plus l’interdiction de contact, constate la psychologue, qui habite en ville. Même si on nous a répété que c’était dangereux, le manque est tel que tant pis, on prend le risque. Dans le meilleur des cas, on se rapproche sans se toucher. Mais souvent, on fait attention un moment, puis on oublie, on revient à ce qui nous semble naturel."

 

Il y a néanmoins un point positif à toute cette histoire : "on se rend compte de l’importance du toucher, ça nous montre que l’on ne peut pas vivre sans l’autre". Cette absence ponctuelle mais violemment ressentie réhabilite le pouvoir du toucher et tout ce qu’il permet de transmettre comme intentions et messages. "Une vie sans câlins, ce n’est pas possible, conclut Céline Rivière, c’est une vie sans vie."