Le glyphosate est-il vraiment moins cancérigène que la charcuterie ?

Article paru dans huffingtonpost.fr le 13 mai 2019.

Un rapport parlementaire se prépare à affirmer que le célèbre pesticide n'est pas dangereux pour la santé. Le rapporteur a osé un parallèle avec la charcuterie. Mais celui-ci tient-il la route scientifiquement ?

 

SCIENCE - Si Pierre Médevielle voulait faire polémique avec une petite phrase, c’est réussi. Dans La Dépêche du Midi, ce dimanche 12 mai, le sénateur UDI affirme que “le glyphosate est moins cancérogène que la charcuterie ou la viande rouge”.

 

Une saillie qui est censée résumer le futur rapport parlementaire sur le glyphosate, qui doit être remis ce jeudi 16 mai au Sénat. Bien évidemment, cette comparaison a fait bondir les écologistes et autres opposants à ce pesticide, inventé et popularisé par Monsanto (qui a été récemment rachetée par Bayer). Surtout que quelques jours plus tôt ont été dévoilés des documents montrant le fichage, par Monsanto, de personnalités selon leur position sur la question du glyphosate.

 

Mais peut-on vraiment dire que le glyphosate est moins cancérigène que la charcuterie ou la viande rouge? Sans autre élément de contexte, il est difficile de faire une réponse définitive, mais la comparaison est au mieux peu pertinente, au pire trompeuse (et ne semble même pas faire partie du rapport qui sera remis jeudi). Voici en tout cas ce que dit la science de la question.

 

Ne pas confondre danger et risque.

Il est probable que cette comparaison de Pierre Médevielle fasse référence au classement du CIRC, le centre de recherche international contre le cancer. Cet organisme de l’OMS est chargé de lister tout ce qui peut causer un cancer. En 2015, elle a classé le glyphosate comme un cancérigène “probable”.

 

Elle a également classé la viande rouge dans cette catégorie, et même la charcuterie (“processed meat”) dans la catégorie des cancérigènes certains. Mais si c’est à ce classement que fait référence le sénateur, c’est une comparaison trompeuse. “Il ne faut pas comparer entre elles les substances, y compris dans un même groupe, car le CIRC évalue le danger, pas le niveau de risque”, explique au HuffPost Thibault Fiolet, expert en évaluation des risques alimentaires et en épidémiologie.

 

Cet épidémiologiste, qui travaille notamment pour le ministère de la Santé belge, s’exprime ici en son nom propre, car il décortique également régulièrement les publications scientifiques et polémiques médiatiques traitant de l’alimentation et de la santé sur son blog personnel.

 

“Le danger, c’est une propriété intrinsèque d’une substance qui peut causer des effets néfastes. La présence d’un requin en mer constitue un danger. Si l’on est sur la plage, le risque est nul, si on nage près du requin, il est élevé. Le risque est une probabilité que survienne ce danger.”

 

Des chiffres à manier avec des pincettes.

Ainsi, pour deux substances toutes deux classées comme cancérigènes, “les types d’expositions, l’ampleur du risque, les personnes à risque, les types de cancers liés peuvent être différents”, affirme Thibault Fiolet.

 

Et c’est là que la comparaison devient difficile entre charcuterie et glyphosate. Le consensus scientifique sur la charcuterie dit que “chaque portion de 50 grammes de viande transformée consommée tous les jours augmente le risque de cancer colorectal de 18%”, tandis que le risque de cancer colorectal pourrait augmenter de 17% pour chaque portion de 100 grammes de viande rouge. C’est la conclusion du CIRC, qui a analysé une dizaine d’études pour l’occasion. Il y a débat sur ces chiffres, sur l’incidence par exemple de la cuisson, des additifs, mais restons sur ce chiffre pour l’instant.

 

Pour le glyphosate, le consensus scientifique est bien plus compliqué et, qui plus est, rendu encore plus problématique par la question politique et l’intense lobbying de Monsanto, dévoilé ces dernières années dans la presse. Toujours est-il que, pour l’instant, une dizaine d’agences de santé estiment les preuves insuffisantes pour conclure au caractère cancérogène pour l’homme, rappelle Libération.

 

Pour autant, certaines analyses récentes montrent que le glyphosate pourrait notamment augmenter le risque de lymphome non hodgkinien, un type de cancer. On parle ici uniquement d’un risque pour les agriculteurs utilisant ce produit. Il n’y a pas d’étude d’envergure qui montre un lien entre consommation de fruits et légumes avec résidus de pesticides et cancer.

 

La dernière étude sérieuse en date, publiée en février et évidemment critiquée, estime que le glyphosate pourrait augmenter le risque de cancer de 41%. Mais uniquement chez les agriculteurs qui ont le plus été exposés au pesticide. Une incidence qui n’a pas été retrouvée dans la dernière grande étude de fin novembre qui a observé des dizaines de milliers d’agriculteurs américains.

 

Des risques à relativiser.

Mais même sans rentrer dans le détail de cette étude (analysée par Thibault Fiolet sur son blog) et des dizaines d’autres qui touchent au glyphosate, il faut bien préciser ce que sont réellement ces pourcentages. “Il faut faire attention à ces chiffres, car c’est un risque relatif et non absolu”, précise Thibault Fiolet.

 

Certes, une consommation excessive de charcuterie augmente le risque de cancer du côlon de 18%. Mais cela ne veut pas dire que vous avez une chance sur cinq d’avoir ce cancer si vous mangez trop de charcuterie, rappelle Vox. Aux États-Unis, par exemple, ce cancer touche 4,5% de la population. L’augmentation de 18% concerne ces 4,5%. En clair, si vous mangez trop de charcuterie, le risque que vous développiez un cancer du côlon dans votre vie passe de 4,5% à 5,3%.

 

La réalité est évidemment plus variée et complexe, mais c’est l’idée. Et c’est la même chose pour le glyphosate. Le lymphome non hodgkinien cause en moyenne 5200 morts par an, c’est le 7e cancer le plus mortel. Cela représente moins de 1% des décès en 2017, par exemple. Il est donc difficile de comparer glyphosate et charcuterie de manière frontale, tant les incertitudes, les populations concernées et les incidences réelles sont différentes et variables.

 

Surtout, à titre de comparaison, il faut rappeler que d’autres facteurs cancérigènes sont bien plus mortels que ces deux exemples. Ainsi, 24.000 décès par cancers par an environ dans le monde seraient imputables à une alimentation riche en charcuteries. Pour le tabac, c’est un million de décès par cancer par an, 600.000 pour l’alcool et plus de 200.000 pour la pollution atmosphérique, selon l’IARC. À titre d’exemple, le tabac multiplie le risque de cancer du poumon de 15 à 30 fois, selon le Centre de contrôle des maladies américain. Cela représente une hausse de 1500% à 3000%.

 

Enfin, on peut se dire qu’il est étrange de comparer la charcuterie et la glyphosate, car si les deux sont autorisés, l’un a été quasiment imposé, du fait de son efficacité et de l’industrialisation de l’agriculture, quand l’autre est un choix de nourriture.

 

D’ailleurs, la comparaison du sénateur Médevielle n’a pas plu à d’autres membres du rapport parlementaire, à l’instar de Cédric Villani. “Je regrette que le sénateur Médevielle, en s’exprimant prématurément et sous une forme qui ne reflète pas le rapport, ait contribué à ajouter de l’huile sur le feu”, a réagi le député LREM de l’Essonne. “Vous ne lirez pas cela dans le rapport, car cela n’y a jamais été. C’est la conclusion que tire Pierre Médevielle à titre personnel”. 

 

C’est “un buzz inutile”, a regretté la députée LREM Anne Genetet. La cancérogénéité ou non du glyphosate, “ce n’est pas le propos du rapport”, qui part du cas de l’herbicide pour “illustrer comment deux autorités (l’OMS et l’Efsa, NDLR) peuvent arriver à des conclusions différentes”, a-t-elle dit à l’AFP.

 

Par Grégory Rozières.