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Pourquoi le toucher est-il un sens vital ?

Article paru dans ça m'intéresse en janvier 2019.

Equipée d’un système nerveux complexe, la peau est notre premier outil de connaissance et d’exploration du monde. Ses capteurs sensoriels spécifiques permettent à notre corps de penser bien avant notre tête. Démonstration.

 

Une tape sur l’épaule pour se donner du courage (https://www.caminteresse.fr/culture/faut-il-tuer-un-dragon-pour-etre- un-vrai-heros-11103857/), des embrassades à chaque but... Sur les terrains de sport, les joueurs passent leur temps à se toucher. Une étude de l’Université de Californie à Berkeley sur le championnat de basket-ball a établi un lien entre le nombre de contacts physiques et les performances des équipes : les meilleures sont celles dont les membres se touchent le plus. Se toucher déclencherait la production d’ocytocine, qui contribue à créer la sensation de confiance, et réduirait le cortisol, responsable du stress.

 

Un traitement de l’information sensorielle à deux vitesses.

Notre peau est constituée de trois couches successives où s’activent 800 000 récepteurs afin de nous fournir des informations sur notre environnement. Des recherches ont mis en évidence un double circuit du toucher dans notre corps : l’un rapide et l’autre plus lent. Le premier est activé par les fibres nerveuses A-bêta, spécialisées pour la détection et l’identification des stimuli extérieurs. Elles transmettent des signaux électriques à la vitesse d’un TGV (https://www.caminteresse.fr/sciences/pourquoi-les-tgv-ne-roulent-ils- pas-encore-plus-vite-1163671/) (20 à 80 mètres par seconde), jusqu’à la moelle épinière puis aux centres cérébraux où ils sont ensuite analysés. Cela nous permet de réagir quand une araignée (https://www.caminteresse.fr/animaux/pourquoi-a-t-on-peur-des- araignees-1189603/) grimpe sur notre bras, par exemple. Parallèlement s’active un autre circuit, câblé avec une autre famille de capteurs, les fibres C, qui transmettent les informations plus lentement (0,5 à 2 mètres par seconde). Certaines sont spécialisées dans la douleur (https://www.caminteresse.fr/sante/comment-evaluer-la-douleur- 1188711/), d’autres dans les démangeaisons ou dans le plaisir. Ces dernières, baptisées "nerfs CT" (C-tactiles), intéressent beaucoup les chercheurs. Enroulées autour des follicules pileux, elles sont activées quand le poil (https://www.caminteresse.fr/sante/a-quoi-servent-les-poils-du-nez-et- des-oreilles-1193835/) est dévié de sa position naturelle. "Dans le cerveau (https://www.caminteresse.fr/sante/le-cerveau-adulte-peut-il-evoluer- 1184895/), elles sont reliées au cortex insulaire, qui joue un rôle central dans le système limbique et le contrôle des émotions", précise le neurologue et spécialiste du toucher Francis McGlone, de l’université de Liverpool (Angleterre). "Le “système rapide” nous dit que nous sommes touché, et le “système lent” ajoute l’émotion qui y est associée – la douleur si vous vous êtes brûlé, le plaisir si c’est un toucher agréable."

 

Nos doigts sont munis de capteurs qui en font de vraies calculettes.

En matière de toucher, on distingue les zones de peau poilue et de peau glabre (lèvres, paume des mains, plante des pieds). Sur celles dépourvues de poils, les fibres A sont très concentrées. Cela fait de notre main un bijou de technologie. Une équipe de l’université de Stockholm (Suède) a montré qu’en passant notre index sur une surface nous sommes capables de détecter la présence de plis hauts de 13 nanomètres : si notre doigt faisait la taille de la Terre, nous serions sensibles à la différence entre les maisons et les voitures ! Plus fort encore : les Suédois ont montré que les neurones sensoriels qui truffent la pulpe du bout de nos doigts – les cellules de Merkel et les corpuscules de Meissner – mesurent l’orientation et la forme géométrique des objets que l’on touche avant de transmettre au cerveau ces informations complexes. Auparavant, on pensait que les calculs étaient effectués par le cortex cérébral. Le réflexe d’agrippement des bébés – qui tiennent fermement les doigts de leurs parents ou un objet – a été étudié par Michèle Molina, professeure de psychologie du développement à l’université de Caen (Calvados). "Nous avons proposé à des nouveau-nés (https://www.caminteresse.fr/economie- societe/a-partir-de-quel-age-les-bebes-commencent-ils-a-comprendre- 1163510/) de tenir des objets mous lisses ou texturés, reliés à des capteurs de pression. Sur les objets lisses, les capteurs enregistraient beaucoup de points d’appuis de faible amplitude, alors que sur les objets texturés les appuis étaient moindres mais de plus forte amplitude." Sur une surface lisse, la petite main effectue un balayage rapide, alors que sur une surface texturée la main concentre son attention sur un point d’irrégularité et appuie plus fort. "Dès la naissance (https://www.caminteresse.fr/sciences/pourquoi-y-a-t- il-plus-de-naissances-en-mai-en-france-1193648/), nous utilisons notre main comme un objet d’exploration", conclut Michèle Molina.

 

Sur la peau poilue, les fibres CT – qui « éveillent » le plaisir – sont, elles, concentrées sur les avant-bras, le tronc et les cuisses. "La réponse émotionnelle dépend évidemment du contexte – qui vous touche et dans quelles circonstances », précise le Pr McGlone. Son équipe a mesuré l’activité électrique des fibres CT sur des sujets effleurés sur l’avant-bras par des robots à des vitesses variant de 0,5 à 5 cm par seconde, puis à 50 cm par seconde. Résultat : ces fibres « caresses" s’enflamment quand la peau est touchée avec une force moyenne et à une vitesse située entre 3 et 5 cm par seconde. Nous aurions ainsi un maximum de plaisir à cette vitesse. En plus de l’ocytocine, le toucher émotionnel favoriserait la sécrétion d’endorphines – des hormones aux effets euphorisants et antalgiques. Le toucher agréable nous pousserait ainsi à développer des relations de confiance.

 

Les bienfaits de ces fibres CT vont bien au-delà du plaisir. Elles joueraient un rôle dans notre conscience du corps. "Les travaux du psychologue Harry Harlow ont montré, dans les années 1950, que la privation de contacts physiques chez des bébés singes entraînait des comportements autistiques et une absence totale d’interactions sociales", indique Hakan Olausson, de l’université de Göteborg (Suède), qui a montré que le toucher doux et lent chez les nouveau-nés stimulait leurs fibres CT.

 

Un contact doux stimule le bon développement du cerveau social.

"Nous pensons qu’il joue un rôle clé dans la relation mère-enfant et le bon développement du “cerveau social” du bébé." L’activation de ces fibres CT commencerait dès la gestation (https://www.caminteresse.fr/sante/pma- gpa-definition-differences-1160376/). Selon le professeur McGlone, les mouvements du liquide amniotique sur le lanugo – duvet qui recouvre les bébés – stimuleraient la maturation du cerveau, et plus particulièrement les aires du cerveau social, le cortex insulaire. "Un mauvais développement du système CT pourrait entraîner des troubles autistiques (https://www.caminteresse.fr/sante/le-cheval-pour-ameliorer-le- quotidien-des-autistes-1186915/) et des comportements anorexiques (https://www.caminteresse.fr/sante/peut-on-guerir-de-lanorexie- 11104312/), avance Francis McGlone. Dans les deux cas, la conscience de soi et de son corps est perturbée. C’est ce qui explique que certaines personnes, sans pathologie clinique, n’aiment pas être touchées. Les travaux du psychologue Simon Baron-Cohen le montrent : nous nous situons tous quelque part, à des degrés divers, le long d’un continuum sur le spectre de l’autisme." De nombreuses études ont montré que recevoir des caresses dès le plus jeune âge est essentiel dans les processus de mémorisation, de réduction du stress et de l’agressivité. Vital pour les bébés, le toucher émotionnel l’est aussi tout au long de l’existence.