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Pourquoi lire nous fait-il du bien ?

Article paru dans caminteresse.fr écrit par Juliette Serfati.

Parce que nous vivons avec eux une expérience charnelle, poétique et métaphysique, le compagnonnage des livres est précieux.

 

Une odeur, la caresse du papier, le geste d’y entrer, de le quitter et d’y revenir : avant même la lecture, l’objet livre est déjà une “chambre à soi”, le lieu d’une hospitalité. “Regardez les tout-petits, bien avant de savoir déchiffrer, se les mettre sur la tête comme un toit, une petite cabane” souligne l’anthropologue Michèle Petit qui décrit tout cela merveilleusement dans Eloge de la lecture. C’est le corps investi dans une façon “d’habiter le temps, propice à la rêverie”, reprend-elle. Les recherches d’un neuropsychologue britannique ne montrent-elles pas que la lecture diminue le stress (https://www.caminteresse.fr/sante/quelle-est-la-difference-entre-un- anxiolytique-et-un-antidepresseur-1187933/)de 68% (contre par exemple 61% pour la musique) ? Lire, c’est, au rythme du texte, se retirer du bruit du monde dans une intimité secrète, d’où l’importance que cela revêt dans des espaces où elle n’existe pas : les hôpitaux ou les prisons, par exemple. L’écrivain Julien Gracq y voyait d’ailleurs un “art de la fugue” dans laquelle, surprise, se dévoile une part de soi inaccessible. Ce voyage de la lecture, dans lequel le lecteur est actif, tous sens en éveil, offre un aller-retour incessant entre l’intime et le lointain, entre le monde et moi, en somme, parce que les aventures et les expériences qui sont contées font écho à ma propre vie.

 

Ainsi la fiction sollicite les mêmes zones cérébrales que la réalité, comme l’ont montré des études scientifiques. Les fameux “neurones-miroirs” nous feraient ressentir les mêmes émotions, sentir les mêmes odeurs, presque vivre les mêmes vies que ceux auxquels on s’identifie dans un récit. Nous permettant de saisir ces “clés magiques qui nous ouvrent les portes de demeures intérieures où nous n’aurions pas su pénétrer” suggère la journaliste Christilla Pelle-Douël en citant Marcel Proust. Et de transformer “les chagrins en idées (...) les événements de la vie en quelque chose qui ait un sens et une beauté” poursuit Michèle Petit. Rétablissant une unité face au chaos du monde et à l’angoisse humaine.  "Il est certains cas pathologiques pour ainsi dire, de dépression spirituelle, où la lecture peut devenir une sorte de discipline curative (...) avançait déjà Proust. Les livres jouent alors auprès de lui un rôle analogue à celui des psychothérapeutes auprès de certains neurasthéniques."

 

Partir à la découverte du monde pour se connaître :

 

Mais il n’est pas forcément question de vertus thérapeutiques ; simplement le texte se fait matière première pour un récit de soi, essentiel car nous sommes des êtres de langage, des “animaux narratifs et poétiques”, souligne joliment Michèle Petit. En lisant, “on prend quelque chose qui vient de l’autre pour faire son chemin” estime l’anthropologue, qui invoque un autre écrivain, Patrick Chamoiseau, pour évoquer la “puissance fécondante” des mots, cette énergie qui met le corps et la pensée en mouvement. Alors il devient possible de se réinventer dans un élan qui nous porte aussi vers les autres. Des chercheurs américains en psychologie cognitive ont ainsi mis en évidence que les lecteurs de fiction étaient mieux aptes à comprendre le monde et leurs semblables, la complexité des liens sociaux.

 

“Il faut lire les textes à voix haute”, recommande la bibliothérapeute Régine Détambel, qui en a fait la base de ses consultations et de ses ateliers. “Entre adultes aussi ! Partout, tout le temps!” “Laisser tomber si on n’accroche pas, ne pas se forcer” complète Christilla Pelle-Douel. Aller dans les librairies, (https://www.caminteresse.fr/economie-societe/cest-quoi-la-librairie- en-ligne-de-google-1146969/) écouter des livres audio, en particulier pour faire découvrir des auteurs aux enfants et aux ados, écrire dans les livres, comme dans un dialogue avec l’auteur et avec soi-même. Dépasser quelques souvenirs scolaires malheureux. Etre aventureux et surtout “désacraliser” – le mot qui revient le plus souvent – afin de permettre à la magie d’opérer. Pour longtemps, même une fois refermés : car, selon la formule de l’écrivain Jean- Claude Carrière, les grands livres “grandissent et vieillissent avec nous”. Mieux qu’un compagnonnage, un art de vivre.