Pourquoi est-ce difficile de changer d’opinion politique ?

opinion politique psychologie

 

 

Vous-souvenez-vous de cette publicité pour une marque de yaourts très connue ? Une petite voix nous susurrait alors à l’oreille : « Y’a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! ». Or, si l’en croit les sondages à l’approche des élections présidentielles, nous serions tous des imbéciles patentés ! En effet, à l’approche du scrutin, très peu d’électeurs sont enclins à se tourner vers une autre famille politique que celle qu’ils ont toujours soutenue.

 

Certes, les cartes ont été largement rebattues pour cette élection 2017. La vision bipartite de la société française a volé en éclats : le clivage droite / gauche n’existe plus en tant que tel, et les lignes de démarcation entre les candidats sont parfois très floues. De plus, de nouveaux enjeux ont vu le jour ces dernières décennies : mondialisation, transition écologique, moralisation de la vie publique, etc. Conséquence : nombre d’entre nous hésitent encore à quelques semaines du scrutin, et les instituts de sondage ont le tournis. Pourtant, les grandes tendances politiques existent toujours, et les valeurs qui les sous-tendent sont toujours aussi prégnantes.

 

La résistance au changement représente une constante chez l’être humain : que ce soit au travail, en famille, ou dans la vie de tous les jours, l’homme a du mal à accepter de se défaire de ses habitudes comportementales, même lorsque la situation l’exige. Souvenons-nous du temps qu’il aura fallu pour faire accepter à l’ensemble des usagers de boucler sa ceinture de sécurité avant de prendre la route ! Et cela malgré tous les efforts déployés par les pouvoirs publics ! Pourquoi une telle réticence ? Essentiellement parce que l’utilité d’une telle démarche n’a pas été immédiatement comprise par l’ensemble de citoyens : il aura fallu (et il faut encore régulièrement) avoir recours à nombre d’opérations médiatiques (spots télévisés, images chocs dans les journaux, etc) pour convaincre la population du bien-fondé de cette démarche préventive. Dans ce domaine (comme dans bien d’autres), il aura fallu combattre les idées reçues avec beaucoup de ténacité.

Les idées reçues s’enracinent dans ce qu’il est convenu d’appeler un « habitus » (vocable emprunté au sociologue Pierre Bourdieu). Il s’agit d’un ensemble de valeurs héritées de notre milieu qui nous fournissent les indications nécessaires sur la manière de se comporter : parler, communiquer, se vêtir, manger, etc. Or, cet habitus n’est pas enclin à évoluer rapidement car il est construit sur des normes relativement rigides qui structurent (au moins provisoirement) la communauté à laquelle chacun d’entre nous appartient. Grâce à cet habitus, nous avons le sentiment d’appartenir à cette communauté, d’y être reconnu (et accessoirement valorisé), nous pouvons communiquer efficacement avec ses membres, faire des projets, etc.

Ces habitudes comportementales ne sont pas conscientes : il faut engager un travail volontaire pour accéder à cette conscience. Parmi ces habitudes comportementales figure l’appartenance à une famille politique. Lorsque cette habitude est ancrée avec force, on parle même de conditionnement familial (« dans ma famille, on vote à droite depuis des générations »). Les idées du camp adverse sont souvent rejetées a priori avec véhémence, avant même d’avoir évalué dans le détail leur éventuelle pertinence.

 

Cette résistance au changement a été étudiée expérimentalement par les psychologues. Ainsi, une étude de l’université de Californie (Kaplan, 2016) a montré que ce sont les opinions politiques qui avaient le plus de mal à évoluer (au même titre que les idées religieuses). Lorsqu’on soumettait aux participants des opinions nouvelles, ils refusaient obstinément de les envisager, encore moins de les adopter. Les chercheurs ont réussi à identifier le processus à l’oeuvre : face à des opinions divergentes, c’est une région du cerveau largement impliquée dans l’image de soi qui s’active. Autrement dit, pour faire face à cette stimulation invasive, le cerveau se réfère à l’identité profonde du sujet (l’habitus évoqué précédemment) pour analyser les données nouvelles, et lorsque la nouveauté est trop dérangeante, le sujet s’accroche avec force à son habitude comportementale. Sur le plan physiologique, cela se traduit par une activité en baisse du cortex orbitofrontal (dédié à la flexibilité cognitive) et une augmentation de l’activité de l’insola et de l’amygdale, deux régions dédiées au traitement émotionnel de l’information. Autrement dit, en politique, c’est souvent le cerveau émotionnel qui prend le dessus sur le traitement cognitif.

 

Que faire ? Est-il possible de faire évoluer une opinion politique dans un sens différent ? La résistance au changement n’est-elle pas la plus forte ?

 

En entreprise, la résistance au changement est une situation bien connue : lorsqu’on souhaite faire évoluer un comportement dans un sens différent, il est préférable de ne pas imposer ce changement de l’extérieur (par une directive par ex.) mais faire en sorte que l’employé l’adopte de lui-même (raison pour laquelle le dialogue entre les différentes parties est toujours plus constructif). Comment relever ce défi ? En faisant appel au cerveau cognitif de l’employé et pas à son cerveau émotionnel, trop englué dans des considérations qui l’empêchent de traiter l’information de manière efficace.

Ainsi, face à un débat télévisé, évitons de nous laisser emporter par le tourbillon émotionnel qui pollue souvent ce genre d’exercice. Privilégions le traitement cognitif de l’information, pas son traitement émotionnel : concentrons-nous sur les idées, pas sur les individus, dégageons-nous de toute implication émotionnelle afin de préserver l’intégrité du jugement qui va forger notre opinion.

 

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